15.4.13

Poème à la con

Caché dans les buissons, moi, le moujik affamé en haillons, blafard et déchaussé, je chante de belles chansons, je danse, je dessine au crayon, j'apprends, j'écris et je récite des poèmes à la con. Hier, à midi et demi, je sortais de prison. Mon âme est morte dans la nuit, noyée dans la fontaine où, ivre d'avoir perdu mes chaînes, je suis tombé. Mon âme de poète clamsée, noyée dans les tourbillons, mes vers ne sont plus très bons, moins bons que ceux que j'écrivais en prison ; mais ces vers restent très chers à mon coeur. Lecteur, toi qui lit mes poèmes à la con, ne soit pas si sévère, je ne suis qu'un pauvre moujik hagard et en haillons qui a perdu son âme, à deux pas de la gare, dans une fontaine où sourd l'eau marron. Aide-moi à retrouver mon âme, ne t'empresse pas de me couvrir de blâmes. Si tu penses que mes poèmes sont vraiment mauvais, passe près de la fontaine qui a volé mon âme, rends-toi donc à la gare, saute dans le TGV bourré de Mallarmé bien inspirés et de Chateaubriand bien croustillants. Lecteur, fonce à quatre cent à l'heure vers La Capitale, va au café des Fleurs, installe-toi parmi les poètes, ces travailleurs bien nourris, bien habillés, bien branchés, écoute leurs conversations à la con. Et puis reviens, lecteur, reprends le TGV, reviens vers mes buissons, pour me dire qui sur cette terre fait les meilleurs vers, qui sont les véritables poètes à la con. D'ici là, j'aurai sûrement repêché mon âme, jeté mes vieux crayons, reprisé mes haillons. Quand tu seras de retour, lecteur, alors sonnera, pour le vieux moujik que je suis, l'heure de quitter les buissons. Ainsi, viendra l'instant du retour vers ma première maison. J'irai jusqu'au bout du champ retrouver le grand chêne au pied duquel j'enterrerai mes poèmes à la con, tous ces longs vers amers écrits pendant mon séjour en prison.

Publié le 3 décembre 2012, sur Traverses.